A la suite d’une étude prospective menée en 2011 sur la thématique de « l’efficacité », il m’a semblé évident que l’exploitation de ce thème dans le discours des marques cosmétiques arrivait à un point de rupture. Au début des années 80, Estée Lauder, avec sa mini-révolution « Night Repair », inaugurait un nouveau cycle dans lequel toutes les grandes marques se sont par la suite engouffrées : la revendication d’une efficacité totale, absolue, par la convocation de la figure scientifique et clinique, garante d’un progrès sans limite. Qu’importe si le consommateur était à même de décrypter les formules chimiques exposées (Biotherm, Lancôme), de comprendre les mécanismes et protocoles savamment mis en scène (Clinique), la course en avant était lancée. Le dernier épisode en date : l’émergence des « cosmeceutics », dont la composition les situe à la frontière entre la cosmétique et le médicament. Avec ce paradoxe : si le dogme de la scientificité pouvait lasser, il n’en restait pas moins un prérequis incontournable sous peine d’être mis hors-jeu.
Au cours des dernières années, des signes annonçaient un possible essoufflement de cette mécanique pourtant bien rôdée. La promesse d’efficacité à tout prix via la science tendait à être remise en cause sur fond de contestation post-moderne : le progrès pour le progrès perdait de son sens et à la logique d’efficacité se substituait celle d’efficience. Mais surtout l’avance prise par les industriels était menacée : sur le registre de l’efficacité, par une médecine esthétique (donc par la source d’inspiration même des annonceurs) de plus en plus accessible, et sur celui du bien-être personnel, d’une efficience non subie mais adaptée à nos style de vie par les nouvelles pratiques alimentaires, sportives, etc… choisies à la carte par le consommateur lui-même. Sur le long terme, le scénario de l’impasse pour les marques industrielles semblait se dessiner, porteur d’une possible remise en question de la logique de surenchère au profit d’un recentrage sur leur métier d’origine : le soin de confort.
Dans ce contexte, le lancement de la solution anti-âge Revitalift Laser X3 par L’Oréal en 2012 et la communication qui l’accompagne est-il un dernier sursaut ou annonce-t-il une reconfiguration du marché ? Ici encore, que ce soit dans la technique d’élaboration ou la composition du produit impossible de faire l’inventaire de toutes les expressions à caractère scientifique tant celles-ci s’accumulent. Sur plan visuel, l’accent est mis encore une fois sur l’infiniment petit, signifiant de la complexité et donc de l’efficacité finale (cf. post « XXXXL »).
Mais c’est au niveau de la preuve que L’Oréal Paris enfonce définitivement le clou et désamorce toute forme de suspicion. « Il faut le voir pour le croire ». Pour L’Oréal c’est tout vu : les batteries de test menées par « un organisme indépendant » dont les résultats ont été publiés dans les Echos sont les garanties « objectives » et définitives de l’efficacité du produit. La transparence est de mise, tant sur le plan des résultats obtenus que sur la méthodologie employée. Pour finalement aboutir à ce qui constitue un précédent : l’entrée en guerre frontale avec la médecine esthétique et son nouvel emblème, le laser CO2 fractionné. En défiant sa source d’inspiration, l’imitateur devenu simulacre (jusqu’au point de se nommer lui-même « laser »…) élargit donc son champs de concurrence pour donner un nouveau souffle à une course qui commençait à lasser son public. Le marché, au sens commercial du terme, n’est donc plus restreint aux crèmes et serums mais il s’étend désormais aux pratiques professionnelles et à leurs technologies associées, intégrées malgré elles dans le champ publicitaire.
On peut néanmoins se demander si le recours au terme « laser » dans la dénomination du produit ne va pas à l’encontre de la stratégie de dépassement initiée par L’Oréal (qui est plus légitime à parler de lasers que ceux qui en détiennent le droit, c’est-à-dire les praticiens ?) Et esquisser pour l’avenir une ligne de clivage et une polarisation des discours de plus en plus franche selon deux logiques: la volonté de retour au soin de confort pour éviter l’écueil de l’hyperefficacité d’une part, et, lorsque les moyens le permettent, exploser le plafond qui pesait sur l’industrie cosmétique par l’entrée en concurrence frontale avec la médecine esthétique et ses techniques les plus modernes.
Crédit illustration: Patrick Duinkerke