L’engagement, un terme d’époque… raison d’être des départements de communication institutionnelle et RSE en entreprise (engagement de la marque), des community managers (engagement à la marque), qui prennent désormais le relais d’une parole politique ayant souvent galvaudé son usage.
Mis au service de causes plurielles, parfois concurrentes voire incompatibles, l’engagement occupe le devant de la scène marchande, répondant à des motivations consommateurs pré-identifiées, perdant dans le même temps de sa portée collective. Aujourd’hui si répandu qu’il en est presque devenu un prérequis, un détour obligé de communication, plutôt qu’un acte fort et distinguant. Quelle entreprise de taille significative n’est pas aujourd’hui confrontée à l’obligation d’exprimer un engagement, pour rassurer sa clientèle, convaincre une cible, répondre à une situation de crise ?
Alors qu’elle semblait ouvrir un nouvel horizon de communication, la stratégie d’engagement tend parfois à montrer des signes d’essoufflement, à force de surenchère d’arguments. Le jeu du chat et de la souris auquel s’adonnent société civile et consommateurs d’une part, acteurs économiques de l’autre est souvent à somme nulle puisqu’il prend la forme de la justification, dégage la marque plus qu’il n’engage l’entreprise…
Notre quotidien récent regorge d’exemples d’initiatives ayant rencontré le succès, dans les faits et dans l’esprit du grand public (Free pour le pouvoir d’achat, Ben&Jerry’s pour une production alimentaire éthique, Dove pour une beauté plurielle…), et dont on peut louer l’impact positif par ailleurs. Mais en devenant le domaine privilégié de la marque et non de l’entreprise, de la communication et non de l’organisation, l’engagement peut pâtir d’un cadre trop restrictif, ne pouvant se dégager des accusations de « washing » dont il fait parfois l’objet.
– Dans sa conception : la nature de l’engagement est définie à partir d’impératifs éthiques, sociaux ou économiques extérieurs, considérés a posteriori comme « porteurs » car en affinité avec son cœur de métier ou de cible.
– Dans sa mise en œuvre : par des catégories d’acteurs clairement dédiés au sein de l’organisation (marque, communication, RSE).
Pourtant au cours des dernières années, nombreux sont les acteurs qui, à l’instar de Zappos ou Tesla, bousculent les schémas habituels, en substituant le modèle de « l’entreprise vertueuse » à celui de « marque engagée » : un engagement qui n’intervient pas en contrepartie, ne joue pas une fonction réparatrice, mais est partie intégrante de l’offre de service proposée puisque créateur de valeur économique. Chez ces marques, l’engagement étant au cœur de la proposition, il devient clairement attribué par le grand public, et la marque s’affranchit d’en parler. Pourquoi une entreprise identifiée comme vertueuse, n’ayant rien à se faire « pardonner », n’ayant aucune cause à incarner sinon la sienne, aurait-elle besoin de manifester un engagement quelconque ? A titre d’exemple, il n’est pas surprenant de voir chaque année Crédit Mutuel en tête des banques préférées des Français, devançant d’autres établissements ayant pourtant mis l’engagement au cœur de leur stratégie de communication.
Mais ce statut a un prix et est le résultat d’au moins 2 choix stratégiques audacieux en amont du projet d’entreprise :
- La vertu n’est pas professionnalisée, mais partagée et personnelle.
Plutôt qu’un argument manié avec plus ou moins de subtilité par les acteurs communicants de l’entreprise, le modèle vertueux repose souvent sur une forme d’organisation souple voire horizontale, au sein duquel chaque élément fait sien la vision originelle de l’entreprise. Ainsi, avant même l’inauguration du modèle « holocratique » (ou « zéro management »), Zappos s’était distingué par une forte perméabilité et rotation entre les postes. Dès lors chacun au sein de l’organisation, y compris les fonctions administratives, peut être amené à devenir un « Zapponian » engagé auprès de la clientèle… Un engagement diffus et partagé en interne mais aussi vécu de façon singulière, donc authentique, par chaque membre de l’entreprise. Nul élément de langage n’est prescrit aux conseillers Zappos, chacun pouvant s’adresser à ses destinataires en ses propres termes. Chez Zappos, mais aussi chez Best Buy (et sa fameuse Geek Squad), l’engagement y est vécu comme un sacerdoce.
- La vertu comporte du sacrifice.
Quelle est la valeur d’un engagement s’il n’est que profitable? S’il comporte un coût pour l’entreprise, il dépasse la simple « opportunité » pour revêtir une nouvelle forme d’authenticité. On peut citer à titre d’exemples l’opération « d’auto-boycott » menée par Patagonia en 2013 contre certains articles à l’empreinte carbone élevée, le renoncement de Tesla sur ses brevets de motorisation eco-friendly… En abandonnant certaines rentes, y compris celles qui constituent son cœur de métier, l’entreprise désamorce les critiques habituelles sur le caractère opportuniste de sa démarche. Des pratiques hétérodoxes : l’engagement n’est plus un moyen mais une fin, au fondement du business model entrepreneurial. Identifié comme tel par le grand public, il devient, dans un 2nd temps, créateur de valeur… Par résonnance avec un fond culturel judéo-chrétien est alors reconnu comme « méritant » (« je crois d’avantage à la cause qu’à ce que son attribution à ma marque pourrait me rapporter »).