Dans le couple « marques et labels », la frontière entre les deux termes semble évidente. Les deux « marquent », « estampillent », « signent » mais s’excluent aussi, et divergent fondamentalement par leur finalité et par leur connotation : commerciale pour l’une, réglementaire pour l’autre. Pourtant si l’on s’en réfère à la définition et à la raison d’être d’une marque, quelle est la pertinence de cette opposition de principe ? Pour reprendre une définition de la marque faisant autorité, les labels agissent bien comme des « repères mentaux » (et « Marque Repère » est donc bien un pléonasme…) et entrent en concurrence « sur un marché », celui du sain, du sûr, du bien, de l’éthique ou même, depuis peu, du « fait maison ».
Des marques certes, mais au fonctionnement spécifique puisque la valeur d’un label sur son marché ne provient pas de la relation qu’il établi avec le consommateur (brand equity) mais de sa reconnaissance « officielle », par l’Etat ou les organismes internationaux, sur la base de critères objectifs et rationnels (certification). Pourtant, il suffit de parcourir les rayons de produits alimentaires pour s’apercevoir de la guerre des signes et des promesses consommateurs qui les oppose. Une tendance accentuée en France par la multiplication des labels d’origine privée, parfois même auto-déclarés.
Les labels jouent non seulement leur rôle traditionnel de caution pour les marques commerciales mais suivent eux-mêmes une stratégie de conquête. Conquête de nouveaux consommateurs, extension sur de nouveaux marchés… Après avoir été le domaine réservé de l’industrie alimentaire, la labellisation frénétique n’épargne plus aucun domaine de la vie : hygiène/beauté, immobilier, tourisme, hôtellerie, numérique, enseignement et, depuis début septembre, finance (ISR).
Les labels ne sont donc pas seulement de froides estampilles mais un marché florissant tiraillé par des batailles de légitimité, de présence et d’impact. Mais que nous communiquent-ils sur eux-mêmes? Quels sens, quelle portée au-delà du simple logo? Malgré l’intérêt que leur porte le grand public, leur propos demeure assez flou, à tel point que seulement une poignée de marque (AB en France et Fairtrade à l’échelle internationale) se sont imposées dans les esprits. L’offre pléthorique de labels (70 labels écologiques en France) porte justement atteinte à leur vocation: celle de « faire autorité ». Pour une même cause, des acteurs différents : ainsi, en France, on recense 4 labels officiels du bio. Avec pour conséquence un manque de lisibilité pour les consommateurs : il fera plus confiance à un produit s’il est adossé à un label mais aura du mal à en saisir la portée réelle. Ainsi, dans l’alimentaire, d’après une étude de la Commission Européenne, 2/3 des européens vérifient qu’il y a un label mais seulement 1/4 en connait au moins un logo… Un contexte propice à l’émergence de contrefaçons ou usages frauduleux de labels. Finalement, c’est la confiance du consommateur qui s’en trouve écornée : l’étude Green Label Equity menée par l’Ifop nous montre que pour 59% des Français « certains labels sont fiables mais pas tous ».
Difficile donc de se repérer sur un marché dont la mission première est justement d’offrir des repères… Une explication possible pourrait finalement résider dans cette difficulté qu’ont les labels à pleinement assumer une logique de marque. Malgré une mission louable, la promesse reste souvent cantonnée au strict registre réglementaire et descriptif. Des nuances de fond existent mais elles ne sont pas perçues par le grand public qui estime que ce n’est pas à lui d’avoir à faire l’effort pour distinguer, par exemple, « Agriculture Biologique », « Agriculture Organique », « Agriculture Naturelle » et « Agriculture Raisonnée » (ou même « Agriculture Biodynamique »), ou bien « Appellation d’Origine Contrôlée » et « Appellation d’Origine Protégée ». Car, sur la forme, la différence ne « saute pas aux yeux ». Même constat au niveau des signes. Le mimétisme est en effet flagrant si l’on s’attarde sur les logotypes et pictogrammes qui viennent servir les causes bio et écologique : exception faite du label Demeter, le vert et le végétal en sont les uniques signifiants.
Une proximité qui se traduit aussi dans les discours. Sans aller jusqu’à imaginer un « storytelling » propre aux labels, la lassitude du grand public est compréhensible tant les procédés et champs lexicaux sont similaires d’un label à l’autre : revendication systématique de l’antériorité, cahier des charges extrêmement rigoureux, emploi jusqu’à l’usure des notions d’ « engagement », « valeurs », « (unique) garantie », « LA référence »… : autant de pré-requis pour un label, dont l’usage intensif dans les discours peut avoir tendance à lasser les consommateurs.
Pourtant, bien qu’isolés, on peut évoquer deux spots viraux ayant su rompre avec le ton assertif auquel le public a souvent été habitué :
A noter d’ailleurs que la logique de marque est pleinement assumée par Fairtrade. Une marque qui porte une vision, comme l’organisation l’indique sur son site : « La Marque Fairtrade symbolise l’optimisme des producteurs, et fait le lien entre la détermination constante des habitants des pays développées et les aspirations des consommateurs du monde entier » (www.info.fairtrade.net). Son logo, désormais immédiatement reconnaissable partout dans le monde, est le résultat d’un travail abouti sur le sens que cette marque donne à sa mission.
Finalement, sans une distinction plus nette des territoires d’expression, des discours, des tons, des imaginaires voire des récits véhiculés, le risque serait donc de voir les marques commerciales monopoliser l’attention réelle que porte le grand public aux discours green. Ces dernières savent tenir compte de la psychologie de leur(s) cible(s), à la fois citoyenne et consommatrice. Lov Organic, Le Lait d’Ici, Caudalie en France, Ella’s Kitchen ou Organix outre-manche, Horizon Organic aux Etats-Unis : nombreux sont les exemples de marques créées récemment, et en passe de devenir, sur leur marché, des représentantes plus identifiables que les labels auxquels elles sont pourtant adossées. Introduire une composante relationnelle, une personnalité (au-delà de la simple « identité » visuelle) dans le mouvement de labellisation, mais sans que celle-ci ne puisse prendre le pas sur la valeur objective des labels, semble donc être devenu un passage obligé pour assurer leur pérennité.
Crédit illustration: Patrick Duinkerke